[ÉDITO] Inondations récurrentes à Kinshasa : Quand l’urbanisation précède la planification

A Kinshasa, la saison des pluies s’installe comme un rendez-vous avec l’imprévu. Les routes se transforment en rivières outre les travaux amorcés depuis mi-saison sèche, les marchés se noient sous les eaux et les habitants redoutent chaque averse. Au-delà des images d’inondations désormais familières, c’est le modèle d’aménagement urbain lui-même qui est questionné. Car ici, la ville s’étend souvent avant d’être pensée.

Depuis plusieurs décennies, la capitale congolaise grandit plus vite que ses plans. Les zones d’habitation précèdent les réseaux d’assainissement, les lotissements émergent avant les études hydrauliques, et les populations s’installent là où l’État n’a pas encore tracé de cadre. Ce déséquilibre, hérité de plusieurs cycles de croissance urbaine mal encadrés, explique en grande partie la vulnérabilité chronique de Kinshasa face aux intempéries.

Des territoires urbanisés sans structures d’écoulement

Dans plusieurs quartiers périphériques, les bassins versants, ces espaces naturels qui recueillent et canalisent les eaux de pluie, ont disparu, remplacés par des habitations ou des remblais. « Là où l’eau devait s’écouler, des murs et des routes ont été construits, sans canalisations adaptées, » déclare un habitant. À cette urbanisation « désordonnée » s’ajoute l’imperméabilisation croissante des sols mélangés avec des sachets plastiques, qui empêche l’infiltration naturelle de l’eau et accentue les ruissellements violents.

Le résultat est mécanique : l’eau, privée de ses voies naturelles, cherche un passage, envahit les rues, les maisons et les marchés. Mais cette situation ne relève pas seulement d’un déficit de comportement citoyen ; elle révèle surtout une carence de planification et de contrôle public. « Notre problème aussi ce que, c’est quand les gens construisent qu’on veut urbaniser, parfois la route trouve les maisons déjà construites et il faut casser pour laisser passer », affirme Charon Numbi, une riveraine.

Une responsabilité partagée

Si certains habitants continuent de jeter leurs déchets dans les caniveaux, contribuant à boucher les voies d’eau, il faut aussi reconnaître que les anciennes et les nouvelles autorités ont souvent manqué d’anticipation et de rigueur dans la planification urbaine. Les permis de construire ont parfois été délivrés dans des zones inondables, sans étude environnementale approfondie. « Les gens construisent dans des zones qui s’inondent et quand ça arrive, elles sont surprises et crient au scandale », déclare E.T.M. Les politiques d’assainissement, quand elles existent, peinent à suivre le rythme de l’expansion urbaine.

L’absence d’un schéma directeur actualisé, le manque de coordination entre les services municipaux et les institutions nationales, ainsi que l’insuffisance des moyens techniques pour l’entretien des réseaux aggravent une situation déjà critique. Il ne s’agit donc pas d’un simple problème d’incivisme, mais d’un défaut systémique de Gouvernance urbaine.

Une réaction municipale qui amorce un changement

Conscient de l’urgence, le Gouverneur de la Ville province de Kinshasa, Daniel Bumba, a entrepris une descente d’inspection après la ressente pluie qui s’est abattue sur la capitale mardi 04 novembre. Accompagné des Ministres sectoriels, il a inspecté les travaux du pont Cabu et autres zones critiques après la dite pluie.

Cette initiative traduit une volonté de passer d’une gestion réactive avec la finition des travaux de réhabilitation et construction des routes qui constitue une approche plus anticipatrice, mais aussi, parmi les mesures urgentes figurent la réhabilitation de tous les collecteurs d’eaux, le curage des canalisations et la restauration des bassins versants obstrués, et surtout appliquer des sanctions contre les constructions illégales et les dépôts et évacuations sauvages d’ordures de ménages et de commerce.

De la réaction à la transformation : penser la Ville autrement

Ces premières actions du Gouvernement central en collaboration avec celui provincial constituent un signal encourageant, mais elles ne suffiront pas sans une vision d’ensemble. Le défi est désormais de refonder la politique d’urbanisation : élaborer un plan directeur du Grand Kinshasa, mais aussi dans le reste du pays, intégrant le risque climatique, renforcer le contrôle des permis de construire et investir dans des infrastructures d’assainissement durables.

L’État, les collectivités locales, les urbanistes et les populations doivent travailler de concert pour reconstruire une relation saine entre la ville et l’eau. Restaurer les zones humides et les mangroves, protéger les bassins versants, développer des espaces de rétention naturelle et moderniser le réseau de drainage sont autant de leviers concrets pour bâtir une capitale résiliente.

Un appel à la coresponsabilité

Les inondations récurrentes ne sont pas une fatalité climatique, mais la conséquence d’un enchaînement de choix humains. Chacun a sa part : les autorités dans la planification, les techniciens dans l’exécution, les habitants dans la préservation de leur environnement. C’est en réconciliant ces trois dimensions, Gouvernance, Technique et Civisme, que Kinshasa pourra enfin transformer sa vulnérabilité en résilience. Car si la pluie révèle les failles de la Ville, elle peut aussi, par la prise de conscience qu’elle impose, en devenir le moteur du renouveau.

[ÉDITO] Éditorial d’Édouard Tshiama Musasa/Journaliste et Chercheur