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Gouvernement d’union nationale en RDC : Entre refus catégoriques et calculs politiques

Gouvernement d’union nationale en RDC : Entre refus catégoriques et calculs politiques

Dans une tentative de répondre à la crise persistante qui gangrène l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), le président Félix Tshisekedi a lancé l’idée d’un gouvernement d’union nationale. Derrière cette initiative, censée fédérer les forces politiques autour des défis sécuritaires et institutionnels, se cache une mécanique plus complexe, où les intérêts partisans, les ambitions personnelles et les rivalités de longue date dictent les positionnements.

Loin de susciter un consensus, cette proposition s’est heurtée à des refus tranchés et à des adhésions teintées de calculs stratégiques. Entre rejet sans appel et soutien opportuniste, les réactions des figures politiques congolaises en disent long sur l’état du paysage politique national.

Katumbi : Un refus sans détour

Moïse Katumbi, leader du parti Ensemble pour la République, a opposé une fin de non-recevoir à cette main tendue présidentielle. Pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une manœuvre destinée à consolider un pouvoir contesté plutôt qu’à résoudre les véritables problèmes du pays. Son diagnostic est sans appel : Tshisekedi cherche à se donner une façade d’ouverture après une élection aux résultats vivement contestés. « Nous ne participerons pas à une mascarade politique », a-t-il tranché, fustigeant une tentative de légitimation par absorption de l’opposition.

Fayulu : Une stratégie pour neutraliser l’opposition

Martin Fayulu, candidat malheureux de la présidentielle de 2018, voit dans cette initiative une tentative à peine voilée d’affaiblir l’opposition en l’invitant à une coalition sans pouvoir réel. Selon lui, aucune réconciliation politique crédible ne saurait s’opérer sans un audit transparent des élections et des réformes électorales substantielles. « On ne construit pas une démocratie sur des bases frauduleuses », martèle-t-il, dénonçant une manœuvre de dilution destinée à fragiliser ses adversaires sous couvert d’union nationale.

Sessanga : Un stratagème voué à l’échec

Delly Sessanga, président du parti Envol, juge cette proposition sans avenir. Il y voit une manœuvre classique : celle d’éteindre la critique en intégrant des opposants soigneusement choisis, sans pour autant s’attaquer aux véritables problèmes du pays. À ses yeux, une telle coalition n’est qu’un partage opportuniste de postes ministériels, sans réforme de fond. Il souligne, entre autres, la nécessité d’une réforme judiciaire et d’une refonte de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), laissées en suspens.

Kabila : L’ombre d’un régime autoritaire

Depuis son retrait officiel du pouvoir, Joseph Kabila s’exprime rarement, mais lorsqu’il le fait, c’est pour porter un regard sévère sur la gouvernance de son successeur. Il accuse Tshisekedi de vouloir devenir le « maître absolu du pays », recourant à l’intimidation et à la répression pour museler l’opposition. Aux yeux de l’ancien président et de ses alliés du Front Commun pour le Congo (FCC), cette tentative d’union nationale n’est rien d’autre qu’un leurre visant à marginaliser leur courant politique et à achever le démantèlement de l’ancien régime.

Muzito : Un soutien équivoque ?

Adolphe Muzito, ancien Premier ministre et leader de Nouvel Élan, a adopté une posture bien différente. Il a exprimé un soutien prudent à la proposition de Tshisekedi, soulevant une question inévitable : opportunisme ou réelle contribution ?

D’un côté, Muzito a toujours prôné des réformes économiques et fiscales susceptibles de stabiliser le pays. Son entrée dans un tel gouvernement pourrait lui offrir un levier d’influence. De l’autre, son ralliement risque d’être perçu comme une manœuvre de survie politique, venant ternir son image auprès d’une opposition qui le voyait comme un acteur indépendant.

Jean-Marc Kabund : Un refus de principe et une revanche politique

Ancien bras droit de Tshisekedi au sein de l’UDPS, Jean-Marc Kabund est aujourd’hui un opposant féroce. Son rejet de l’offre présidentielle repose autant sur une conviction idéologique que sur un règlement de comptes personnel. Évincé du parti après avoir été l’un des architectes de la victoire du président, puis emprisonné, il ne mâche pas ses mots : pour lui, Tshisekedi est pire que ses prédécesseurs. Il refuse toute compromission, espérant incarner l’alternative crédible au pouvoir actuel.

Matata Ponyo : Entre prudence et calculs politiques

Matata Ponyo, ancien Premier ministre et économiste respecté, s’est montré réservé face à l’offre présidentielle. Plusieurs considérations expliquent son hésitation. Accusé de détournement de fonds, il pourrait voir dans une participation gouvernementale une opportunité d’apaisement avec la justice. En même temps, en tant que technocrate, il pourrait être tenté d’apporter sa contribution aux réformes économiques, à condition qu’elles ne soient pas qu’un simple habillage politique.

Franck Diongo : Une opposition intransigeante

Figure de l’opposition radicale et président du MLP (Mouvement Lumumbiste Progressiste), Franck Diongo a rejeté sans ambiguïté l’offre de Tshisekedi. Ses motivations sont claires. Diongo a été emprisonné sous Tshisekedi et garde une rancune profonde contre le président qu’il accuse d’être un « traître » à l’idéal démocratique. Il se voit comme l’un des derniers vrais opposants anti-système et considère que le combat doit se poursuivre jusqu’à un changement total du régime. Pour lui, un gouvernement d’union nationale ne serait qu’un simulacre destiné à cautionner le pouvoir en place.

Le spectre des coalitions du passé : un scénario connu d’avance ?

L’histoire politique congolaise regorge de tentatives de gouvernements d’union qui ont rapidement montré leurs limites. Deux exemples notables : D’abord, le Gouvernement 1+4 (2003-2006). Suite aux accords de Sun City, un système de partage du pouvoir a été mis en place, comprenant un président et quatre vice-présidents issus des principales factions belligérantes. Cette structure, censée assurer une transition pacifique, a souvent été paralysée par des querelles internes et un manque de cohésion, retardant ainsi les réformes essentielles.

Ensuite, la Coalition FCC-CACH (2019-2021). Après les élections de 2018, une coalition entre le Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila et le Cap pour le Changement (CACH) de Félix Tshisekedi a été formée. Cette alliance, marquée par des tensions et des divergences, a conduit à une cohabitation difficile, entravant l’efficacité gouvernementale et aboutissant finalement à sa dissolution.

Ces expériences passées laissent entrevoir une issue prévisible : une union de circonstance, vouée à imploser sous le poids des antagonismes et des stratégies individuelles.

Le regard de la communauté internationale : entre espoir et scepticisme

Les partenaires internationaux – ONU, Union africaine, États-Unis – scrutent avec attention cette initiative. Un gouvernement inclusif pourrait être perçu comme un gage de stabilité, mais sans réformes profondes, il risque d’apparaître comme une simple cosmétique politique.

Derrière ces débats, une question demeure : la RDC est-elle condamnée à reproduire éternellement les mêmes schémas politiques ? Ou bien parviendra-t-elle, un jour, à bâtir une gouvernance fondée sur un consensus national authentique et durable ?

Costa Pinto

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