RDC : Quand la révision constitutionnelle devient le prétexte d’une déstabilisation
L’intensification des combats dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) ne saurait être perçue comme une simple flambée de violence liée aux tensions historiques entre Kinshasa et Kigali. Elle s’inscrit dans un contexte politique où chaque mouvement sur le terrain militaire résonne comme un écho aux enjeux institutionnels qui agitent la capitale. Dès lors, une question s’impose : l’escalade du M23 est-elle une tragédie conjoncturelle ou une mise en scène orchestrée pour torpiller le projet de révision constitutionnelle porté par le régime en place ?
Une avancée militaire au timing troublant
L’accélération des opérations du M23, marquée par la prise de positions stratégiques comme Goma et Bukavu, coïncide étrangement avec la montée en puissance du débat sur la réforme constitutionnelle à Kinshasa. L’histoire politique congolaise nous enseigne que les crises sécuritaires ont souvent été instrumentalisées pour remodeler l’agenda institutionnel. Déjà en 2011, les révisions constitutionnelles menées sous Joseph Kabila avaient été précédées par une recrudescence des conflits armés, rendant toute opposition difficile.
Aujourd’hui, alors que la question constitutionnelle polarise l’opinion publique, l’avancée rebelle place le gouvernement devant un dilemme stratégique : poursuivre son projet au risque d’être accusé de négliger l’urgence sécuritaire, ou reculer sous la pression, ce qui consacrerait une victoire tacite de ses adversaires.
Joseph Kabila : un retour calculé sur l’échiquier politique
L’ombre de Joseph Kabila plane sur cette séquence troublée. Sa récente tribune dans The Sunday Times, où il met en garde l’Afrique du Sud contre son engagement militaire en RDC tout en dénonçant une supposée dérive autoritaire du pouvoir, ne relève pas de la coïncidence. Loin d’être une simple mise en garde, cette intervention s’apparente à un jalon posé sur le chemin d’un éventuel retour en scène.
En invoquant le « Pacte républicain » de Sun City, Kabila suggère que toute modification de la Constitution remettrait en cause les équilibres laborieusement négociés au sortir des guerres de 1996-2003. En filigrane, il s’agit d’un avertissement : une révision constitutionnelle risquerait de provoquer une fracture institutionnelle aux conséquences imprévisibles. Mais derrière ce plaidoyer, se cache aussi une question stratégique : Kabila et ses alliés redoutent-ils un remodelage institutionnel qui les priverait d’une porte de retour au sommet de l’État ?
Un gouvernement d’union nationale : consensus ou subterfuge ?
Dans ce climat délétère, Félix Tshisekedi a annoncé un remaniement ministériel et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Un schéma qui, dans l’histoire congolaise, a souvent rimé avec surenchère institutionnelle plutôt qu’avec efficacité politique.
On se souvient du gouvernement de transition 1+4 (2003-2006), dont la lourdeur administrative a entravé plus qu’elle n’a favorisé la stabilisation. Plus récemment, la coalition FCC-CACH (2019-2020) entre Kabila et Tshisekedi s’est soldée par un blocage institutionnel paralysant. La RDC semble condamnée à confondre élargissement du gouvernement et gouvernance efficace, alors même que l’urgence est à la rationalisation des institutions et non à leur hypertrophie.
Or, dans un pays où la population exige un allègement du train de vie de l’État, un gouvernement tentaculaire risque d’être perçu comme une manœuvre dilatoire visant à calmer les tensions politiques plutôt qu’à résoudre les défis de fond.
La RDC en otage d’un agenda opaque
L’enchaînement des événements – flambée du M23, retour médiatique de Kabila, et remaniement gouvernemental – ne relève pas du hasard. Ces dynamiques s’entrelacent dans un ballet où la crise sécuritaire devient un levier pour influencer les rapports de force politiques à Kinshasa.
La question demeure : cette instabilité est-elle un simple effet collatéral des tensions régionales ou une stratégie savamment orchestrée pour geler une réforme controversée ? Si l’histoire de la RDC nous a appris une chose, c’est que les lignes de front ne sont jamais qu’une extension des batailles politiques.
Dans ce jeu de dupes, les véritables perdants restent les Congolais, pris en otage par une gouvernance sinueuse et un horizon sécuritaire toujours plus incertain.
Costa Pinto
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