Sanctions US contre Kabarebe et Kanyuka : un signal faible face à une tragédie
Les sanctions américaines du jeudi 20 février visant James Kabarebe, conseiller en défense du président rwandais Paul Kagame, et Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, ont été saluées par Kinshasa comme une première brèche dans le mur d’indifférence érigé autour du drame congolais. Mais derrière cet écran de fumée diplomatique, la réalité demeure cruelle : ces mesures sont aussi timorées qu’inefficaces face à la gravité de l’agression que subit la RDC. Pourquoi seules ces deux figures ont-elles été désignées à la vindicte internationale, alors que les ramifications du conflit s’étendent jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir rwandais ? Pourquoi une réaction aussi feutrée quand, face à la Russie, l’Occident déploie une panoplie de sanctions d’une brutalité inédite ?
Un choix politique plus qu’un véritable coup de semonce
À y regarder de plus près, la sélection de Kabarebe et Kanyuka ressemble davantage à une concession diplomatique qu’à un coup de tonnerre géopolitique. Kabarebe n’est pas un simple artisan du chaos, il en est l’un des architectes les plus chevronnés. Son nom hante les rapports des Nations Unies depuis des décennies, cité et recité dans la litanie des crimes et des prédations qui ont ensanglanté l’Est congolais. Mais agirait-il seul, en électron libre d’un système dont la colonne vertébrale se trouve à Kigali ?
Les absents de cette liste de sanctions sont aussi éloquents que ceux qui y figurent. Où sont les financiers occultes qui alimentent la machine de guerre rwandaise avec les richesses pillées du Congo ?
Quant à Kanyuka, il n’est qu’un simple porte-voix d’une rébellion qui n’a ni autonomie stratégique, ni agenda indépendant. Sanctionner le messager sans frapper les véritables instigateurs, c’est condamner l’ombre en laissant prospérer la main qui la projette.
Rwanda et Russie : deux poids, deux mesures criants
Lorsque la Russie a foulé le sol ukrainien, l’Occident a riposté avec la rapidité d’un couperet : gel des avoirs, exclusions bancaires, restrictions commerciales, sanctions ciblant oligarques et dignitaires d’État. En RDC, malgré une invasion rampante orchestrée par Kigali, Washington se contente de gestes prudents, presque anecdotiques. Pourquoi cette indulgence ? Pourquoi cette clémence pour un régime dont les exactions sont pourtant documentées avec la même rigueur que celles du Kremlin ?
D’une part, le Rwanda bénéficie d’une image artificiellement polie, façonnée par une habile diplomatie et un storytelling soigneusement calibré. Aux yeux des chancelleries occidentales, Paul Kagame reste ce leader modèle, austère et efficace, qui a redressé son pays après le génocide de 1994. Peu importe que ce récit masque une politique étrangère prédatrice et une gouvernance intérieure de fer.
D’autre part, Kigali s’est imposé comme un acteur sécuritaire incontournable en Afrique, déployant ses troupes dans des missions onusiennes et africaines, se présentant comme un rempart contre l’extrémisme islamiste, et tissant des alliances stratégiques avec les puissances occidentales. Le Rwanda ne pèse pas seulement par ses armes, mais aussi par sa capacité à se rendre indispensable aux intérêts géopolitiques de ses partenaires.
Enfin, et peut-être surtout, les enjeux économiques pèsent lourd dans cette équation biaisée. L’Est congolais regorge de minerais stratégiques – coltan, cobalt, or – essentiels aux industries technologiques occidentales. Et Kigali, en prédateur avisé, a su tisser un réseau tentaculaire de contrebande, alimentant discrètement mais efficacement les circuits mondiaux d’approvisionnement. Sanctionner durement le Rwanda, ce serait perturber un écosystème économique dont certains bénéficiaires se trouvent bien au-delà des frontières africaines.
Pourquoi pas une intervention militaire américaine en RDC ?
Lorsqu’il a fallu soutenir l’Ukraine, Washington n’a pas hésité : livraisons d’armes sophistiquées, assistance militaire directe, coordination stratégique avec ses alliés. La RDC, pourtant victime d’une ingérence étrangère avérée, n’a droit qu’à des mots creux et à des sanctions cosmétiques. Pourquoi cette asymétrie flagrante ?
Quelles réponses pour la RDC ?
Si Kinshasa veut sortir de cette spirale d’inaction et d’indifférence, il est temps d’abandonner la posture du spectateur impuissant et d’adopter une stratégie offensive sur plusieurs fronts. La RDC devra diversifier ses alliances stratégiques. Si l’Occident tergiverse, la RDC pourrait se tourner vers les BRICS et d’autres puissances émergentes pour renforcer son influence et son dispositif de défense. Mais elle doit surtout renforcer ses capacités militaires. L’histoire montre que seules les nations capables de se défendre imposent le respect. La modernisation de l’armée congolaise est une nécessité vitale. Le pays de Lumumba devra aussi davantage investir dans une communication internationale percutante. La bataille de l’opinion est tout aussi cruciale que celle du terrain. La RDC doit cesser d’être une tragédie oubliée et devenir une cause planétaire.
Des sanctions sans effet, une guerre qui perdure
Les mesures prises contre Kabarebe et Kanyuka ne sont qu’une poussière diplomatique dans une tempête de violences. Tant que les véritables instigateurs resteront épargnés, tant que les sanctions ne frapperont pas le cœur du pouvoir rwandais, le cycle infernal de la guerre continuera de broyer l’Est congolais.
L’heure n’est plus aux illusions. Si la communauté internationale persiste dans son inaction, la RDC devra assumer son destin, sans attendre des secours qui ne viendront peut-être jamais. L’Histoire n’a jamais été tendre avec les nations qui délèguent leur survie aux bonnes grâces des autres. Kinshasa doit choisir : continuer à quémander des miettes ou imposer sa souveraineté, quel qu’en soit le prix.
Costa Pinto
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