RDC/Chantiers fantômes et milliards disparus: L’urgence d’une justice à la hauteur des attentes des Congolais
L’indignation d’un peuple face aux promesses non tenues
La République démocratique du Congo traverse une période de doute et de désillusion. Les Congolaises et Congolais observent, médusés, la répétition d’un scénario devenu presque banal : des milliards de francs congolais et des centaines de millions de dollars déboursés au nom du développement national… mais des infrastructures qui restent sur papier ou s’effondrent avant même leur inauguration.
À Kinshasa, à Mbujimayi, à Vunda Mukilangu ou ailleurs, ce qui devait incarner la modernité se transforme en symbole d’opacité et de dévoiement de l’action publique.
Des chiffres précis circulent, étayés par des documents officiels et des réquisitions judiciaires : 104 millions à MILVEST pour un projet de Kinshasa Arena dont la population ne voit pas la trace ; 400 millions pour un centre financier inachevé ; 43 millions pour 1 000 maisons destinées aux sinistrés de Vunda Mukilangu, sans qu’aucune habitation ne soit livrée ; 71 millions de dollars pour des forages promis par Mike Kasenga, introuvables ; 14 millions à Samba Batshily pour des lampadaires qui n’éclairent aucune rue ; 18 millions à CREC-7 pour les travaux Tshilejelu à Mbujimayi, en suspens.
Ces montants colossaux donnent le vertige et soulèvent une série de questions lancinantes : où en est le projet dit des 100 jours ? Qui bloque la poursuite de ces dossiers à la justice ? À qui profitent ces détournements ? Où est passé l’argent du contribuable congolais ?
Une justice aux abonnés absents
La population n’est pas dupe. Elle sait qu’une partie des fonds publics disparaît dans des circuits opaques et des réseaux de clientélisme. Elle sait aussi que la justice congolaise, censée être indépendante et protectrice de l’intérêt général, se montre trop souvent lente, sélective ou complaisante.
L’affaire Mutamba, dont les 19,9 millions de dollars ont été intégralement récupérés, prouve qu’une action judiciaire efficace est possible. Mais ce cas reste l’exception qui confirme la règle.
Combien de dossiers restent sans suite réelle ? Combien de chantiers inachevés sont classés sans suite ? Combien de gestionnaires ou d’opérateurs économiques impliqués dans des malversations échappent à toute sanction ? Pourquoi la justice congolaise ne veut-elle pas rouvrir les débats sur ces différents dossiers ? Comment la justice peut-elle laisser disparaître, dans un silence assourdissant, des sommes aussi vertigineuses ?
La faiblesse, voire la résignation, des institutions judiciaires alimente un sentiment d’impunité qui ronge l’État de droit et détruit le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés.
L’exigence d’impartialité et de fermeté
Cet article n’est pas un pamphlet. Il ne vise ni à régler des comptes, ni à protéger tel ou tel camp politique. Il s’agit d’un cri d’alarme : si l’argent du peuple continue d’être gaspillé sans contrôle et si la justice ne joue pas son rôle de contre-pouvoir, la République elle-même est menacée.
Les citoyens se détourneront définitivement des institutions, la corruption deviendra une norme sociale, et l’État sera réduit à un appareil de prédation.
La justice congolaise doit prouver qu’elle n’est pas un instrument aux mains des puissants mais une institution impartiale, rigoureuse et transparente.
Cela signifie :
• Poursuivre et sanctionner toute personne impliquée dans la dilapidation des fonds publics, quel que soit son rang ou ses réseaux.
• Communiquer clairement sur l’état d’avancement des enquêtes et des procès, pour restaurer la confiance.
• Recouvrer effectivement les fonds détournés et en assurer l’affectation transparente aux projets prévus.
• Protéger les lanceurs d’alerte et les journalistes qui révèlent les scandales financiers.
Des projets fantômes, un État en sursis
Chaque chantier inachevé est plus qu’un simple échec administratif : c’est une promesse trahie, un espoir anéanti. Les 1 000 maisons non livrées aux sinistrés de Vunda Mukilangu sont des familles laissées dans la précarité. Les forages non réalisés signifient des villages sans eau potable. Les lampadaires absents sont des quartiers plongés dans l’insécurité. Le centre financier inachevé est un symbole de stagnation économique. Kinshasa Aréna inachevé est un rêve collectif réduit à une affiche publicitaire.
Le coût social de ces échecs est immense. Il mine la crédibilité des politiques publiques, décourage les investisseurs sérieux et nourrit un ressentiment populaire qui peut, à terme, déstabiliser tout le pays.
L’appel à la conscience collective
Il est temps de sortir du fatalisme. Les Congolaises et Congolais ne sont pas condamnés à subir éternellement l’impunité et la corruption. La société civile, les médias, les partis politiques, les syndicats, les universitaires, les leaders religieux, la diaspora et chaque citoyen ont un rôle à jouer. L’information doit circuler, la pression citoyenne doit s’exercer de manière pacifique mais ferme, et la culture de la reddition des comptes doit s’enraciner.
Cet appel ne vise pas seulement le Procureur général près la Cour de cassation, à qui nous adressons respectueusement cette interpellation, mais l’ensemble de la magistrature congolaise. C’est un appel à l’honneur, à la dignité et à la responsabilité historique. Les juges et les procureurs ont entre leurs mains une part de l’avenir du pays. S’ils choisissent l’indépendance et la fermeté, ils deviendront les artisans d’une RDC enfin debout. S’ils persistent dans la complaisance et l’inaction, ils seront comptables, devant l’histoire, de l’effondrement de l’État de droit.
Pour un nouveau contrat moral
La République démocratique du Congo regorge de ressources naturelles, de richesses humaines et de talents extraordinaires. Elle dispose de tout ce qu’il faut pour financer son propre développement sans dépendre indéfiniment de l’aide extérieure ni brader ses atouts aux intérêts étrangers. Mais cet immense potentiel restera une illusion tant que l’argent public sera siphonné au profit d’intérêts particuliers. Chaque franc et chaque dollar investis par l’État doivent produire des routes, des écoles, des hôpitaux, des logements sociaux, de l’eau potable et de l’électricité accessibles, et non alimenter des comptes bancaires secrets à l’étranger. L’État congolais ne doit plus être une proie, un guichet de prédation ou un butin politique, mais redevenir une institution forte et impartiale, entièrement tournée vers le bien commun et la dignité de ses citoyens.
Ce nouveau contrat moral ne naîtra pas d’une énième réforme administrative, d’un texte de loi symbolique ou d’un discours présidentiel bien rédigé. Il naîtra d’actes concrets et vérifiables : audits publics systématiques, publication et traçabilité de tous les marchés publics, appels d’offres ouverts et compétitifs, contrôles indépendants, sanctions exemplaires et immédiates contre les détourneurs, et surtout une justice réhabilitée et réarmée dans sa mission première de gardienne de l’intérêt général. Sans cette rupture radicale avec l’impunité et l’opacité, le pays restera prisonnier d’un cycle d’espoirs brisés et de promesses trahies. Avec elle, la RDC peut enfin devenir un État moderne, respecté et digne de ses ressources comme de son peuple.
Rompre le cycle de l’impunité
L’histoire récente de la RDC montre que le changement est possible lorsque la volonté politique et la pression citoyenne se conjuguent. L’affaire Mutamba en est la preuve. Mais il ne suffit pas de récupérer ponctuellement quelques millions ; il faut mettre fin, systématiquement et durablement, à l’impunité. Sinon, chaque scandale chassera le précédent dans l’oubli, et les mêmes pratiques se reproduiront.
Nous, citoyens engagés et membres de la diaspora, appelons donc solennellement le Procureur général, les magistrats et l’ensemble des autorités judiciaires à faire de la lutte contre la corruption et la malversation une priorité nationale, sans sélectivité ni calcul politique. Nous appelons également le peuple congolais à rester vigilant, informé et exigeant.
L’argent public appartient à tous. Il doit financer des infrastructures visibles, utiles et durables, non des fortunes privées. Le temps est venu de tourner la page des chantiers fantômes et des promesses trahies. La RDC mérite une justice digne de son nom, capable de protéger le bien commun et d’écrire une nouvelle page de son histoire.
Tribune de Jean Aime Mbiya Bondo Shabanza
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