Kabila, leçons de morale et amnésie politique
Le 23 mai 2025, Joseph Kabila est sorti de son long mutisme. Depuis un lieu tenu secret, l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC) a pris la parole pour dénoncer ce qu’il qualifie de dérive autoritaire du régime en place, stigmatisant un Parlement “inféodé”, une justice “aux ordres”, et en appelant à la formation d’un “pacte citoyen” pour sauver la République du naufrage. L’initiative pourrait prêter à sourire, si elle ne résonnait comme un symptôme inquiétant d’une mémoire sélective et d’une moralité politique à géométrie variable.
Leçons de vertu d’un ancien architecte du chaos
Qu’un homme aujourd’hui poursuivi par la justice pour trahison et collusion avec les ennemis de la nation se pose en sentinelle des institutions relève d’un paradoxe qui frôle l’indécence. Pendant dix-huit ans, Joseph Kabila a présidé à l’usure de l’État de droit, à la mise en coupe réglée des ressources publiques, à la désagrégation de la chose publique. Sous son magistère, les processus électoraux furent ajournés ou falsifiés, les libertés réduites à peau de chagrin, les contre-pouvoirs méthodiquement neutralisés. Les complicités tacites — voire actives — avec certains groupes armés de l’Est, aujourd’hui invoquées par ses détracteurs, plongent leurs racines dans cette époque-là.
Il dénonce aujourd’hui les dérives d’un système qu’il a lui-même façonné. La critique, aussi fondée soit-elle dans son principe, devient caduque lorsqu’elle émane de celui qui, hier encore, en tirait les leviers. L’effet de miroir est cruel : Kabila, dans le rôle du procureur, ressemble davantage à un accusé qui tente de récuser la légitimité de la cour.
Un “pacte citoyen” ou un calcul stratégique ?
L’appel à un pacte civique aurait pu être salutaire, s’il ne provenait de la bouche même de celui qui, lorsqu’il détenait tous les leviers du pouvoir, marginalisait toute expression dissidente, réduisait l’opposition à un décor, et confinait la société civile dans un rôle d’observateur désabusé. Où était ce pacte durant les deux décennies de pouvoir absolu ? Pourquoi l’épiphanie patriotique ne survient-elle qu’au moment où les vents judiciaires deviennent contraires ?
Ce soudain accès de civisme républicain ressemble davantage à une manœuvre de réhabilitation personnelle qu’à une volonté authentique de refondation nationale. L’histoire retiendra, peut-être, non pas la pertinence du propos, mais l’opportunisme du moment.
Leçon de République : la roue tourne
Il y a néanmoins dans cette scène un enseignement implicite. Dans les jeunes démocraties, l’impunité n’est jamais éternelle. Le pouvoir, jadis absolu, finit par vaciller. Ceux qui hier manipulaient les lois pour se protéger finissent, parfois, par en redouter la rigueur. L’allocution de Kabila, au-delà de son vernis moralisateur, marque une césure symbolique : l’ancien intouchable sommé de répondre à la justice de son pays.
Ce renversement n’est pas anodin. Il devrait interpeller l’ensemble de la classe politique congolaise. Car si les comptes ne se rendent qu’au crépuscule des carrières, c’est que la démocratie reste encore un théâtre d’impunité différée. Il serait temps d’instaurer une culture de la responsabilité qui ne commence pas avec la disgrâce, mais dès l’exercice du pouvoir.
La République ne se reconstruit pas sur des règlements de comptes
La RDC n’a que trop souffert de ces alternances mimétiques, où les anciens accusent les actuels, et les actuels se défaussent sur les anciens. Ce pays, blessé par l’histoire, mérite un nouveau contrat politique fondé sur la vérité, la justice équitable et la mémoire des fautes. Et si Joseph Kabila souhaite véritablement “servir la République”, qu’il commence par faire œuvre de transparence, en assumant la plénitude de son héritage, sans fard ni détour.
RDC, souviens-toi : lorsque les anciens pyromanes prétendent devenir pompiers, il convient d’examiner les cendres qu’ils ont laissées derrière eux — et de s’assurer qu’ils n’en dissimulent pas les braises.
Costa Pinto
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