Remaniement gouvernemental et crise sécuritaire en RDC : une fuite en avant ?
L’annonce d’un remaniement gouvernemental et d’un éventuel gouvernement d’union nationale par le président Félix Tshisekedi, dans un contexte marqué par l’aggravation de la crise sécuritaire à l’Est, soulève plus d’interrogations que d’espoirs. Après des années de tergiversations face à l’offensive du M23, soutenu par le Rwanda, la réponse du chef de l’État oscille entre une réorganisation politique et une réforme militaire annoncée, dont l’efficacité demeure sujette à caution. L’heure est donc à l’examen critique de cette stratégie : incarne-t-elle une réelle solution ou s’agit-il d’une manœuvre politique classique destinée à diluer la pression ?
L’illusion du gouvernement d’union nationale : un remède pire que le mal ?
L’histoire politique congolaise est jalonnée de gouvernements dits d’union nationale, censés ramener la stabilité dans les périodes de tourmente. Mais combien de fois ces coalitions ont-elles véritablement résolu des crises majeures ? De 2003 à 2006, le gouvernement 1+4 issu du dialogue intercongolais a certes permis d’organiser des élections, mais il a également laissé en héritage une administration pléthorique et inefficace. Plus récemment, la coalition FCC-CACH (2019-2021) entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi a illustré les limites de ce type d’arrangement : au lieu d’améliorer la gouvernance, elle a engendré des blocages institutionnels avant de voler en éclats sous le poids des tensions internes, donnant naissance à l’Union Sacrée.
La RDC a souvent confondu consensus politique et inflation institutionnelle. À chaque crise, la riposte a été d’augmenter le nombre de ministres, de multiplier les agences et d’alourdir un État déjà obèse et budgétivore. Dans un pays où la population réclame la réduction du train de vie des institutions, l’idée d’un gouvernement tentaculaire frôle l’absurde. La crise sécuritaire exige une réponse lucide et chirurgicale, non une redéfinition clientéliste des rapports de force au sein du pouvoir.
Une armée réformée, mais avec quels moyens ?
Le président Tshisekedi a promis une refonte de l’armée afin de la hisser au rang d’une force professionnelle et digne de ce nom. Une ambition noble, mais confrontée à des obstacles colossaux. Depuis l’ère Mobutu, toutes les tentatives de réforme des FARDC ont échoué, naufragées dans l’océan de la corruption, du clientélisme et des infiltrations. L’histoire récente prouve que, malgré les efforts de modernisation amorcés sous Kabila avec le soutien des partenaires internationaux, l’armée congolaise est restée structurellement fragile, incapable d’endiguer la montée du M23 en 2012. Aujourd’hui encore, elle souffre d’un manque criant d’équipement et d’une absence de doctrine militaire cohérente, tandis que le Rwanda continue d’être un acteur militaire redoutable dans la région.
Si la volonté présidentielle est sincère, elle ne peut se matérialiser qu’au prix d’investissements substantiels dans la défense, d’une politique de recrutement fondée sur le mérite et d’une purge rigoureuse des officiers véreux. Mais Tshisekedi a-t-il réellement les moyens et la détermination politique pour mener une telle révolution au sein de l’appareil militaire ? Rien n’est moins sûr.
Le spectre du changement constitutionnel : un agenda détourné ?
Un autre élément mérite d’être scruté de près : l’impact de cette crise sécuritaire sur le projet de révision constitutionnelle récemment évoqué. Certains observateurs suggèrent que l’intensification de l’activisme du M23 pourrait servir les intérêts de certains acteurs politiques, internes ou externes, désireux de torpiller cette réforme avant même qu’elle ne prenne corps.
La question est légitime : à qui profiterait l’abandon de ce projet ? L’opposition, qui a déjà exprimé ses réserves sur une éventuelle modification de la Constitution, aurait tout intérêt à voir le gouvernement Tshisekedi embourbé dans une guerre de légitimité et de survie face à l’avancée rebelle. D’un autre côté, la crise actuelle détourne totalement l’attention de cette réforme, qui pourrait pourtant redéfinir en profondeur l’équilibre institutionnel du pays. Si cette hypothèse se confirme, cela prouverait une fois de plus que la RDC demeure un terrain propice aux stratégies où les conflits armés deviennent des leviers de manipulation politique.
Un défi de taille : la riposte diplomatique
Le président Tshisekedi a affirmé vouloir « déboulonner le système » de soutien au M23. Pourtant, force est de constater que la RDC peine à articuler un front diplomatique efficace. Les sanctions américaines contre James Kabarebe et Lawrence Kanyuka, bien que symboliques, ne sont qu’un modeste début. Pourquoi les États-Unis n’imposent-ils pas au Rwanda des sanctions économiques aussi drastiques que celles infligées à la Russie ? Pourquoi n’interviennent-ils pas en RDC avec la même fermeté qu’en Ukraine ?
Là encore, l’histoire rappelle que les considérations géostratégiques prévalent souvent sur les discours humanitaires. La RDC, bien que regorgeant de ressources naturelles, ne représente pas un allié stratégique incontournable pour l’Occident. La véritable bataille que Kinshasa doit mener est celle de son influence diplomatique et de sa capacité à imposer sa voix sur la scène internationale. Un défi que, jusqu’à présent, elle peine à relever.
Une opportunité manquée ?
En définitive, ce remaniement et la refonte de l’Union Sacrée semblent être une réponse politique à une crise militaire qui exige avant tout des solutions militaires et diplomatiques. Le risque est grand de voir ce remaniement se résumer à un simple jeu de chaises musicales, sans impact concret sur la situation sécuritaire.
Les congolais, eux, attendent des actes tangibles : une armée capable de défendre l’intégrité du territoire, une gouvernance moins prédatrice des ressources publiques et une diplomatie qui pèse réellement sur l’échiquier international. Si le remaniement annoncé ne s’accompagne pas de réformes structurelles audacieuses, il ne sera qu’une fuite en avant supplémentaire, un épisode de plus dans une longue saga de réajustements politiques sans lendemain.
L’histoire de la RDC est celle d’un pays qui, trop souvent, confond refonte politique et renforcement de l’État. Espérons que cette fois-ci, la leçon sera enfin retenue.
Costa Pinto
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