Tous parlent, aucun ne tombe

Il y a des pays où les scandales éclatent à cause d’enquêtes poussées. En République Démocratique du Congo (RDC), ils se propagent par les lèvres mêmes des autorités. Déclarations fracassantes, accusations croisées, révélations dignes d’un polar… mais au final, rien. Ni enquête sérieuse. Ni indignation réelle au sommet. Ni action publique cohérente. Seulement un silence étatique, aussi abyssal que coupable.

La dernière série en date, c’est ce florilège hallucinant de propos tenus par ceux-là mêmes qui dirigent le pays ou l’ont dirigé. Christophe Mboso, alors Président de l’Assemblée nationale, avait appellé les députés à « quitter les groupes armés » — confirmant ainsi, sans sourciller, que des représentants du peuple trempaient dans des rébellions criminelles. Jean-Marc Kabund, ancien premier vice-président de la même institution, accusait les élites d’envoyer « des millions vers les paradis fiscaux en jets privés ». Nicolas Kazadi, ex-ministre des Finances, ironise avec cynisme : « On se partage d’abord l’argent, on réfléchit après. » Et récemment, Constant Mutamba, ministre de la Justice, déclare qu’un haut magistrat devrait « justifier ses maisons à Bruxelles ».Tous parlent. Aucun ne tombe.

La banalisation de l’indignité

Ce qui sidère dans ce tableau, ce n’est pas tant l’ampleur des accusations, mais leur banalisation. La corruption n’est plus une rumeur, c’est une phrase de conférence. L’implication dans des groupes armés ne fait plus scandale, c’est une remarque de couloir. Le détournement ne fait plus tomber de gouvernement, c’est une anecdote de tribune. Les fortunes inexpliquées ne gênent plus les palais de justice, elles s’affichent avec arrogance.

Le drame, c’est que le peuple regarde, impuissant. Il écoute, il s’indigne, puis il passe à autre chose. Car il sait déjà que rien ne changera. Que la justice ne poursuivra personne. Que les institutions de contrôle — Cour des comptes, IGF, CENAREF — sont mobilisées à géométrie variable, selon les intérêts du moment. On cible les ennemis, on protège les amis, on laisse les citoyens dans l’obscurité.

Un système à deux vitesses

Comment expliquer que dans une République censée être fondée sur le droit, des propos aussi graves restent sans suite ? La réponse est simple : la RDC fonctionne selon une logique de pouvoir, non de responsabilité. Ce n’est pas la légalité qui décide, mais le positionnement politique. Celui qui dérange est poursuivi ; celui qui protège le bon camp est absous, même s’il est éclaboussé jusqu’au cou.

Ce système à deux vitesses tue la démocratie. Il décrédibilise la lutte contre la corruption. Il alimente les frustrations sociales. Et il fragilise, à terme, la stabilité du pays.

Une commission spéciale indépendante devrait être mise en place pour faire la lumière sur les accusations publiques portées par et contre les hauts responsables. Pas pour organiser un lynchage. Mais pour établir les faits. Et restaurer l’honneur de la République.

La parole publique a un prix

Quand les dirigeants parlent, ce n’est pas un divertissement. Ce sont des déclarations d’État. Si ce qu’ils disent est vrai, ils doivent être protégés et les coupables poursuivis. Si c’est faux, ils doivent être démis de leurs fonctions pour avoir sciemment sali les institutions. Dans tous les cas, le silence n’est plus une option. Il est une trahison.

Costa Pinto