Kabila face au Sénat : entre rigueur juridique, prudence institutionnelle et parfum de revanche
Ce jeudi 15 mai 2025, à l’abri des regards et des micros, une plénière du Sénat congolais s’est tenue à huis clos. À l’ordre du jour : l’examen, par une commission spéciale, de la recevabilité d’une éventuelle levée des immunités du sénateur à vie Joseph Kabila, à la suite d’un réquisitoire sans précédent émis par l’auditeur général des FARDC. À travers cette séquence, la République Démocratique du Congo s’avance sur une ligne de crête : entre aspiration à la justice, exigence de légalité, impératif de stabilité institutionnelle — et pulsion de règlement de comptes.
La question posée est d’une gravité singulière. Elle touche au cœur battant de l’État de droit. Peut-on, doit-on, engager des poursuites contre un ancien chef de l’État pour des accusations aussi lourdes que la trahison, sans respecter à la lettre le canevas constitutionnel ? La sénatrice Christine Mwando Katempa, en invoquant l’article 224 du règlement intérieur du Sénat, a rappelé avec justesse que seule une session conjointe du Congrès — réunissant les deux chambres — peut trancher une telle affaire. Une simple plénière sénatoriale, si solennelle soit-elle, ne saurait s’arroger ce pouvoir.
En décidant la mise en place d’une commission d’étude, le Sénat a choisi une voie médiane : prudente, méthodique, institutionnelle. Mais cette prudence est-elle le reflet d’un souci sincère de légalité, ou le masque d’une stratégie politique plus vaste ? Le huis clos ayant entouré les délibérations jette un voile d’ombre sur la transparence du processus. Or, dans une République encore convalescente après des décennies d’opacité, le peuple réclame une justice lisible, impartiale, et à l’abri de toute manipulation.
Il ne s’agit pas ici de sanctifier Joseph Kabila, ni de le clouer au pilori. Il s’agit de s’assurer que l’État, dans ce moment critique, ne cède ni à l’émotion, ni à l’esprit de revanche, ni à la tentation de l’arbitraire. La justice ne gagne en autorité que lorsqu’elle demeure fidèle aux textes. La tentation de l’exception, même au nom des plus nobles causes, peut être le prélude au naufrage des principes.
Il serait naïf de croire que cette affaire s’inscrit en dehors du contexte politique. Les révélations fracassantes de Nicolas Kazadi sur la prédation systémique, les propos de Moïse Katumbi, les accusations croissantes de connivence entre l’ancien régime et les rebelles du M23… Tout concourt à créer une atmosphère de rupture. Un climat de revanche. L’exécutif cherche-t-il à reprendre la main en frappant un totem ? Si tel est le cas, à quel prix ?
La commission rendra son rapport lundi. Ce document pèsera lourd. Il dira si le Sénat choisit d’être le gardien du droit ou l’instrument d’un moment. S’il consacre l’impossibilité de juger un ancien président sans le passage obligé par le Congrès, alors il rappellera que les procédures ne sont pas de simples formalités, mais les piliers d’une démocratie digne. S’il opte pour une lecture plus aventureuse, il lui reviendra d’en étayer les fondements avec une rigueur irréprochable.
Car mal engagée, même au nom des victimes, la justice peut devenir une source d’injustice. Elle ne saurait être un théâtre d’ombres où l’on rejoue les conflits d’hier sous des habits juridiques. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement la destinée d’un homme. C’est l’âme même de l’État congolais. Sa capacité à s’élever au-dessus des passions, à inscrire ses actes dans le marbre du droit, à faire montre de grandeur dans l’épreuve.
Costa Pinto
Share this content:
Laisser un commentaire