Kinshasa noyée : chronique d’une tragédie urbaine annoncée
Les précipitations torrentielles qui se sont abattues sur Kinshasa dans la nuit de dimanche à lundi ont engendré une nouvelle hécatombe : une trentaine de morts, une multitude de blessés, des habitations réduites en ruines, des infrastructures routières effondrées, et une population, une fois de plus, livrée à elle-même, oscillant entre désespoir et résignation. Ce n’est pas la pluie qui tue. C’est l’impréparation chronique, la gouvernance déficiente, et l’inertie institutionnelle d’un État défaillant qui, saison après saison, laisse sa capitale sombrer dans la même spirale de désastre.
Chaque épisode pluvieux agit comme un révélateur brutal de la fragilité congénitale de l’espace urbain kinois. À l’imperméabilité naturelle des sols s’ajoute l’aveuglement de politiques publiques incapables d’anticiper l’inéluctable. Les caniveaux, obstrués par les détritus, se transforment en bourbiers nauséabonds. L’habitat informel, qui prolifère sur les pentes instables et dans les ravins, trahit l’absence d’un schéma directeur d’urbanisation. Il ne s’agit plus de simples carences techniques, mais d’un abandon manifeste, où l’État se montre incapable d’assumer les fonctions élémentaires de prévention, d’assainissement et de sauvegarde des vies humaines.
Ce naufrage n’a rien d’une calamité naturelle. Il est le fruit d’un laisser-aller systémique. Kinshasa, mégapole tentaculaire de plus de 15 millions d’âmes, continue de croître sans boussole, sans vision, sans pilotage stratégique. L’alerte précoce reste un mirage, les dispositifs de secours une chimère, et les promesses de réhabilitation des zones inondables relèvent davantage de la rhétorique électoraliste que d’un engagement tangible. L’on feint de découvrir, à chaque catastrophe, ce que l’on se refuse obstinément à planifier.
Ce sont toujours les mêmes qui périssent : les oubliés de la République, relégués dans les marges de la ville, là où l’État n’a ni regard ni remords. Et pendant que les quartiers populaires pleurent leurs morts dans l’indifférence générale, les autorités se réfugient dans la fatalité, comme si le ciel était responsable de leur incurie. Trente morts, ce n’est pas un chiffre. C’est une tragédie évitable, un réquisitoire contre l’improvidence, une gifle infligée à la dignité humaine.
Kinshasa n’implore pas la lune. Elle réclame simplement ce que tout État digne de ce nom doit garantir : la sécurité de ses citoyens, même face à la pluie. Il est temps de rompre avec le cycle de l’indifférence. Car à force de s’accommoder du chaos, c’est le contrat social lui-même qui s’effrite, noyé sous les eaux boueuses d’une gouvernance en déroute.
Costa Pinto
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